Où va Haïti ? A l’heure où nous vivons la période la plus sombre de notre vie nationale depuis notre virage vers la démocratie, cette question se pose et s’impose brutalement dans la tête de tout homme ou femme pour qui Haïti, malgré tout, signifie encore quelque chose.
Même si, logiquement, toute question n’est posée que pour être répondue, celle-ci demeurera encore longtemps sans réponse, puisque la Première République noire elle-même ne sait pas où elle va. Alors qu’elle était sur la piste d’envol, Haïti a été brusquement déviée de sa trajectoire. Connus, peu connus, inconnus, méconnus, les coupables de cette déviation qui ne semble mener qu’à l’effondrement sont nombreux. Issus de la classe politique, du secteur des affaires, de la société civile, de la presse, de l’Eglise, de la communauté internationale, outsiders…, sur les responsables des malheurs d’Haïti, passés et présents, nous pouvons mettre un nom, un visage. Même les gangs armés qui donnent aujourd’hui, quotidiennement, la démonstration de leur toute-puissance un peu partout à travers les 27 750 Km2 ne savent pas où va le pays. Jamais à court d’armes et de munitions, ils ne font que jouer à qui perd gagne. Quid du Gouvernement ? Les représentants de ce qui reste de l’Etat ont-ils au moins une vague idée de l’itinéraire d’Haïti ? Dans l’ignorance la plus totale, comme nous tous, ils se la coulent douce. Rien de plus.
Hélas, au lendemain de la chute de Jean-Claude Duvalier, nous n’avions pas su canaliser le torrent de la « Révolution » dans le lit plus calme du progrès constructif. Comme la fameuse cigale du fabuliste français, nous ne faisons que payer aujourd’hui le prix d’une bamboche démocratique effrénée, maintenue bon an, mal an. Même si, comme l’a dit Edmond Paul, la société haïtienne comporte dans sa fondation même bien des vices, bien des semences qui devaient dans le cours de son existence l’ébranler profondément. Aujourd’hui, tacitement, toutes les couches sociales, toutes les élites se sont avouées vaincues. L’école a renoncé à sa vocation, la famille a longtemps démissionné, l’église ne fait plus autorité, le peuple oublie de jouer son rôle. Il n’existe plus qu’un grand vide improprement appelé Etat où se meut une caricature de Gouvernement qui se donne, par moments, fadement en spectacle, en attendant de faire comme tout le monde : s’avouer vaincu.
Toutes les voies qui mènent à l’Avenir sont fermées. L’un après l’autre, les espoirs tombent sous les balles assassines à chaque coin de rue ; les espérances partent en bateau ou en avion. Ne restent que la peur et les faux-semblants. Entretemps, la longue traversée du désert d’Haïti a, de toute évidence, façonné une conscience collective où l’attente du « Changement » ne tient aucune place. Plutôt que de penser que la Première République noire est victime d’un dessein secret de la Providence, il nous faut reconnaître et admettre qu’Haïti ne fait que payer le prix de ses mauvais choix politiques, sociaux et économiques. Ayant mal choisi ses amis, Haïti ne sait pas reconnaître ses vrais ennemis. Que faire ? Voilà une autre interrogation aussi énigmatique que la première, qui se pose et s’impose à son tour. Il n’y a qu’en philosophie que les questions sont plus importantes que les réponses. Ce n’est qu’en s’efforçant de trouver la solution à ces énigmes, qu’on pourra oser espérer voir le bout du tunnel…
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