Le désordre est-il un comportement foncièrement haïtien ? Voilà une question qui, prise au premier degré, risque d’être entendue et perçue comme une insulte. Mais, face au chaos qui règne en Haïti et notre capacité à nous en accommoder facilement, face à l’anomie qui y prédomine et le confort qu’on y trouve, il est légitime et urgent de se la poser. Dans la bouche de l’homme supposément avisé aussi bien que dans les actes de l’homme de la rue, le désordre s’érige au rang de « valeur », de « principe ».Grosso modo : l’instabilité est pour nous une habitude de vie. Terreau propice à toute forme de crises, Haïti est aussi la République de toutes les instabilités. Un état de fait qui s’explique par la mise à mort de toutes les institutions.
La Famille, l’École, l’Église, aucune de ces institutions, agents traditionnels de socialisation, ne fait autorité à l’heure actuelle. Même l’Etat dont le mauvais état a déjà été mille fois dénoncé est, pour l’heure, inexistant.
Aujourd’hui plus que jamais, la performance d’un gouvernement ne se mesure que par les petits résultats quasi insignifiants de quelques ministères qui fonctionnent en vase clos, sans de vraies politiques publiques préétablies. Par exemple, depuis bien des années, le Ministère de l’Education Nationale se résume presque à l’organisation des examens d’Etat, quand celui de la Culture se décerne un satisfecit pour avoir organisé un Carnaval national sans incidents majeurs… Et ça s’arrête là ! Désorganisée, la famille en Haïti n’inculque aux enfants aucune vertu qui fait de l’humain un homme, de l’homme un citoyen…
N’en parlons pas des églises qui pullulent comme des champignons et préparent, faussement, des « âmes » dépourvues de toute dimension spirituelle, apparemment bonnes pour l’enfer. Ici, tout commence en impéritie ou en désinvolture et finit en instabilité. Sous le poids des turbulences politiques qui ont pris en otage tous nos « désirs », l’économie du pays s’effondre. A tous les échelons, la société haïtienne est gangrenée par la maladie de l’instabilité. C’est la chienlit !
Parce qu’anthropiques, les exemples d’instabilités courent les rues. À un autre niveau l’échelle sociale, les chauffeurs de taxi-moto, contrevenants par excellence de toutes les normes de conduite, ne représentent-ils pas une menace pour la sécurité publique ? Voilà un détail, mais de taille dirait-on, qui échappe aux décideurs et qui risque de constituer, dans pas trop longtemps, un problème sociétal insoluble comme c’est le cas depuis des lustres pour l’occupation anarchique des trottoirs par les petits marchands, à Port-au-Prince comme dans d’autres grandes villes du pays. Dans tous les domaines de la vie publique ou privée (politique, économique, familiale…), nous donnons le mauvais exemple d’hommes et de femmes plus aptes à nager à contre-courant de tout ce qui est « normal » et non d’humains lucides capables d’entrer dans la conformité des règles.
À un niveau plus élevé, nous sommes de véritables créateurs d’ « instabilités ». D’ailleurs, un président de la République, feu René Préval en l’occurrence, n’avait-il pas affirmé haut et fort, en plein meeting populaire, que : « la Constitution de 1987 est une source d’instabilités ». Dans une certaine mesure, il avait bien raison et le temps l’a bien prouvé. Et parce que la Charte fondamentale qui régit le fonctionnement de la société est mère d’instabilités, conséquemment les institutions à vocation de nous lier par l’«ordre », nous divisent par le « désordre ». Ici, nous pensons à juste titre au Parlement haïtien (qui n’existe plus aujourd’hui), théâtre de toutes les absurdités durant ces dernières années. Nul besoin d’examen clinique pour le prouver : l’instabilité fait partie intégrante de la structure psychique des hommes et femmes de notre temps. C’est notre drogue !
Une « Justice » aux abonnés absents
Dire que les tribunaux en Haïti sont vides relève de l’euphémisme. Ils sont tout carrément inexistants. Depuis bien longtemps, Madame Justice est en vacances. Le pire, c’est que personne ne sait quand elle sera de retour. De là, les contraventions, les délits et les crimes restent impunis. Quelque soit sa gravité, plus personne ne répond de son acte. On s’y adapte. Aujourd’hui des bandits armés nous assaillent, nous pourrissent la vie sans que nous puissions identifier leurs maitres tapis dans l’ombre de l’impunité. Le pays tombe de Charybde en Scylla, personne ne lève le petit doigt. Balkanisée, la Police Nationale d’Haïti (PNH) a parjuré son serment de « Protéger et Servir ». C’est à visière levée que les gangs armés imposent leurs lois impunément ; corrupteurs et corrompus envahissent l’administration publique dans presque tous ses compartiments impunément, des médias font de la diffamation leur base déontologique impunément… Dans cette ambiance délétère, Haïti fonctionne. Haïti pardonne. Mais à la vérité, tant que la loi de l’impunité s’applique à tous et partout sur le territoire national, Haïti ne connaîtra jamais la « Stabilité », base du développement à tous les niveaux. En se confortant dans la « fausse paix » que procurel’impunité, Haïti crève à petit feu…
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