Une colère légitime face aux gangs
La haine sociale que suscitent les groupes de gangs en Haïti est légitime chez les victimes qui abandonnent leur histoire de vie sociale dans les quartiers et les villes où ils ont vécu pendant des années.
Toutes les personnes frustrées d’avoir été chassées de leur domicile par des bandits ont le devoir d’exprimer leur colère vis-à-vis des autorités publiques impuissantes et des coupables qui restent impunis.
Mais leur colère doit s’associer à une volonté de justice qu’ils doivent toujours impérativement déléguer aux juges et aux magistrats du pouvoir judiciaire, qui ont le devoir légal et légitime de faire appliquer
les sanctions pénales des tribunaux et cours de justice, et de rendre justice à ceux et celles qui ont subi des préjudices.
Une responsabilité collective
Par ailleurs, ces plaignants doivent s’interroger et se demander s’ils n’ont pas contribué, par les valeurs qui fondent leurs interactions, à donner une éducation nocive à des garçons et des filles qui sont devenus
cette génération de gangsters en armes contre leurs propres concitoyens ? Et ne sont-ils pas en train de poursuivre cette œuvre néfaste qui prépare une future génération d’autres gangsters ?
Certes, qui ne prendront probablement pas les armes tout de suite, mais qui auront un habitus les disposant à le faire dans des contextes favorables.
Ce que l’on devrait surveiller comme déviance, criminalité et anticonformisme intolérable est devenu du conformisme accepté.
Le Konbit : un modèle de solidarité perdu
Le concept de Konbit dans la sociologie rurale renvoie à un ensemble de pratiques d’entraide communautaire qui permettaient aux paysans de satisfaire certains besoins socioéconomiques.
Le Konbit signifiait aussi la force des liens d’une solidarité mécanique qui organisait le vivre-ensemble rural.
Et les flux de migrations vers certains centres urbains engendraient des formes de solidarité dans les marchés publics et les lieux de résidence populaire qui rappelaient le sens du Konbitisme.
Même les citadins étaient dans la pratique d’une solidarité proche du Konbit, pour nettoyer les quartiers, bétonner une impasse, ou faire la peinture pour rendre l’atmosphère agréable à Noël.
Et cela malgré la solidarité organique qui caractérise les centres urbains.
La disparition du konbitisme et l’essor de l’individualisme
Aujourd’hui, dans les milieux ruraux et urbains, la solidarité de l’esprit konbitiste a quasiment disparu pour laisser la place à un type de solidarité qui renvoie à l’esprit cupide et égoïste de l’idéologie capitaliste,
qui a tout transformé en marchandise : amour, amitié, respect, reconnaissance sociale, prestige et distinction.
Pour nettoyer les quartiers et réaliser ce que le konbitisme permettait autrefois, il faut l’argent de l’assainissement public ou implémenter un projet d’une ONG locale ou internationale.
“Se kolòn ki bat” : un slogan trompeur
Le slogan à la mode « Se kolòn ki bat » n’a rien qui corresponde au konbitisme d’autrefois du milieu rural et à la solidarité civique et citoyenne des quartiers populaires urbains.
Cette formule est l’expression de la connivence et de la complicité qui lient les gens des milieux ruraux et urbains dans les pratiques de corruption, de cupidité, de crimes, et de méchanceté.
C’est le refrain énigmatique de ce qu’Anténor Firmin appelait « L’effort dans le mal », qui se renforce par « l’effort dans la médiocrité et l’obscurantisme ».
En mémoire de ce qu’était le konbitisme, si important à la défunte historienne et écrivaine Odette Roy Fombrun qui a enseigné l’histoire et le civisme à des générations d’enfants scolarisés,
les pratiques auxquelles renvoie la formule « Se kolòn ki bat » ne sont pas des modèles de comportements à valoriser dans une société à moraliser.
Autant que l’on peut condamner toutes les pratiques immorales que justifie cette formule d’une chanson compas très mélodieuse et très populaire : « Se rezilta ki konte ».
L’urgence d’un retour à la morale civique
Au contraire, la société doit interroger ses acteurs, à travers les médias, dans les discussions familiales, par le biais des investigations financières et policières, sur l’origine de leurs fortunes qu’une comptabilité
privée ou publique transparente ne peut pas approuver par le compte cumulé de salaires et de bénéfices provenant d’activités légales et transparentes.
Complicité et silence social
Pour ne pas avoir des ennuis dans cette société, où ces formules dictent des comportements douteux et peu recommandables à des enfants que l’on éduque, on dit au citoyen de ne pas se mêler des affaires des autres
qui ne le regardent pas. Mais la corruption, le trafic illicite d’armes et de stupéfiants, le proxénétisme, la prostitution de la jeunesse, la délinquance économique, ce sont des faits de l’ordre de l’intérêt public,
dont le citoyen peut et doit discuter en toute quiétude dans une société morale et moralisante. Car ce sont des pratiques menaçantes pour la sécurité de sa famille et de toute la société.
Contrairement à la médisance, la diffamation, le viol du domicile privé d’autrui qui ne sont pas des actions citoyennes, mais qui sont devenues monnaie courante dans la société immorale d’aujourd’hui.
Une société piégée dans l’anomie
En effet, les violences qui créent une situation d’anomie sociale dans certains points urbains et ruraux de la géographie nationale sont les conséquences des pratiques sociales et économiques justifiées par
les formules « Se kolòn ki bat » et « Se rezilta ki konte ».
Les parents, les médias, la justice ont été trop insouciants, absolument désinvoltes, et parfois impitoyablement complices, quand ils auraient dû demander des comptes aux enfants, aux personnalités politiques,
aux entrepreneurs sur l’origine de leurs gains.
Ce que l’on devrait surveiller comme déviance, criminalité et anticonformisme intolérable est devenu du conformisme, ayant entraîné la majorité des acteurs dans des comportements et des attitudes qui ont détruit
les bases institutionnelles de la société haïtienne.
La normalisation du mal
Aujourd’hui, dans les quartiers, les bureaux, on n’ose pas critiquer ou dénoncer le mal et l’immoralité, parce que tout le monde ou presque tout le monde est mouillé.
On vit de la complicité et de la connivence qui nourrissent, logent, paient une automobile, construisent une maisonnette.
Dénoncer et critiquer le mal que fait l’argent de la corruption, du vol, du blanchiment, l’argent de monsieur et madame l’immoralité, c’est se trahir et risquer son bien-être personnel pour des valeurs et des vertus
qui ne rendent pas de gros services dans une société dominée par des élites qui manquent de scrupule et qui n’aiment le bien, le beau, l’utile, et l’agréable que pour elles-mêmes.
Voilà pourquoi nous aurons toujours à supporter des logiques sociales qui ne contribuent qu’à renouveler une génération de gangsters par une autre génération d’autres gangsters.
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