Le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE), pilier essentiel de la gouvernance publique haïtienne, traverse depuis plus d’une quinzaine d’années une crise profonde. Ce ministère stratégique, censé orienter la planification économique et sociale du pays et coordonner la coopération internationale, est devenu un instrument de convoitise politique, alimentant la corruption, le clientélisme et l’enrichissement personnel.
Une institution dévoyée de sa mission
Le MPCE a pour mandat de piloter le développement économique et social du pays, de mobiliser les ressources externes et d’assurer leur coordination au profit de l’effort national. Pourtant, force est de constater que de nombreux titulaires successifs n’ont utilisé ce poste qu’à des fins personnelles. Plutôt que d’incarner la rigueur et la planification de l’État, le ministère s’est mué en un centre de pouvoir parallèle où s’entremêlent intérêts politiques et enrichissement illicite.
Le cas de Marie D. A. Ketleen Florestal, nommée ministre le 17 juin 2024 par le Premier ministre d’alors, Garry Conille, illustre tragiquement cette dérive.
Une gouvernance marquée par l’opacité, l’arrogance et le favoritisme
Dès son arrivée, la ministre Florestal s’est distinguée par une gestion autoritaire et controversée. Seize mois après son installation, elle ne maîtriserait toujours pas les attributions fondamentales du MPCE telles que définies par le décret du 2 février 2016.
Selon plusieurs cadres internes, elle aurait écarté les techniciens expérimentés du ministère pour s’entourer de collaborateurs choisis sur des critères de loyauté personnelle. Délaissant les missions de planification et de coordination, la ministre se serait concentrée sur la gestion des cartes de débit ministérielles, une tâche normalement dévolue au Directeur général. Pendant ce temps, d’autres institutions — le Ministère de l’Économie et des Finances, le Ministère de l’Agriculture, ou encore le Ministère de l’Intérieur — se seraient accaparé plusieurs attributions du MPCE. Un vide administratif s’est ainsi installé.
Des chiffres qui choquent : salaires, primes et dépenses somptuaires
La ministre de la Planification figure parmi les membres du gouvernement les plus coûteux pour le Trésor public. Selon des documents internes consultés :
• Salaire mensuel : 121 000 gourdes
• Carte de débit : environ 350 000 gourdes par mois
• Prime trimestrielle : environ 940 000 gourdes
• Bons de carburant : environ 600 000 gourdes mensuels
• Frais de représentation : 74 000 gourdes
• Petite caisse : 150 000 gourdes
• Frais de deuxième résidence : environ 520 000 gourdes
• Indemnité de fonction : 40 333 gourdes.
À cela s’ajoute l’occupation régulière d’une suite dans un hôtel luxueux de Port-au-Prince, financée sur fonds publics. Les factures de restauration y seraient si élevées que, selon une source du MEF, certains techniciens se demandent « si tout le ministère mange là-bas ».
Les proches de la ministre : entre favoritisme et enrichissement
Deux collaborateurs proches de la ministre, issus du Ministère de l’Agriculture, auraient été placés à des postes clés au MPCE :
• Marie Thérèse Nadia Jean Juste, chargée de mission au rang d’assistante-directrice au MARNDR (salaire : 75 000 gourdes), aurait été nommée Directrice des affaires administratives et du budget du MPCE.
Elle percevrait : 900 000 gourdes de salaire complémentaire trimestriel, Environ 400 000 gourdes de prime sur la carte de débit, plus de 60 000 gourdes carte de débit mensuels.
• Elgo Eugene, présenté comme conseiller en passation de marchés publics, bénéficierait d’un traitement équivalent : 600 000 gourdes de salaire complémentaire trimestriel, 400 000 gourdes prime sur la carte de débit, et plus de 60 000 gourdes carte de débit mensuels. Les deux collaborateurs profiteraient également des avantages réservés aux directeurs. Depuis leur installation en février 2025, ils auraient encaissé plus de 14 millions de gourdes en bons de carburant — soit plus de 2 millions par mois —, un montant porté à 11 millions de gourdes pour les deux derniers mois de l’exercice fiscal. À titre personnel, Marie Thérèse Nadia Jean Juste se serait octroyé une subvention de 750 000 gourdes pour un voyage médical à l’étranger.
Pendant ce temps, le ministère n’aurait pas trouvé les 4 millions de gourdes nécessaires à la réparation de sa génératrice, hors service depuis avril.
Une ministre sans humanité : les fonctionnaires punis et humiliés
Plusieurs employés du MPCE dénoncent des transferts arbitraires vers des organismes déconcentrés, en violation des procédures légales.
Ces décisions, dépourvues de justification et sans approbation de l’OMRH ou de la Primature, ont plongé des dizaines de fonctionnaires expérimentés — certains comptant entre 12 et 20 ans de service — dans la précarité la plus totale.
Privés de leurs avantages sociaux et de leurs revenus réguliers, ils peinent aujourd’hui à subvenir aux besoins de leurs familles.
Un cadre résume la situation ainsi :
« Ici, on punit les compétents et on récompense les complices. »
Un ministère en chute libre
Face à ce climat délétère, le Directeur général du MPCE aurait démissionné, évoquant un environnement marqué par le mépris, le harcèlement, le trafic d’influence et l’absence totale de gouvernance. Le ministère, autrefois moteur du développement national, n’est plus que l’ombre de lui-même : paralysé, discrédité et vidé de sa mission première.
L’appel à un sursaut national
Le Conseil Présidentiel de Transition est aujourd’hui interpellé. Il doit agir sans délai pour mettre fin à cette dérive et sauver le MPCE d’un effondrement définitif. Restaurer cette institution, c’est redonner à la planification nationale son rôle de boussole économique, sociale et territoriale — et redonner au peuple haïtien une lueur d’espoir dans la capacité de l’État à se réformer.
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