Dans une République où l’incompétence et la corruption sont souvent mieux récompensées que la probité, Lonick Léandre vient d’atteindre l’apogée d’une carrière pour le moins… exemplaire.
Accusé dans plusieurs affaires de détournement de fonds, révoqué pour fraude massive sur les passeports, et impliqué dans le scandale financier de la Banque nationale de crédit (BNC), il n’a pourtant pas été écarté de la gestion des affaires publiques. Non, bien au contraire : il a été promu ministre conseiller à l’ambassade d’Haïti aux Bahamas.
Une nomination qui en dit long sur les critères de sélection du personnel diplomatique haïtien.
Quand un scandale en cache un autre
Avant de briller sur la scène diplomatique, Lonick Léandre officiait en République dominicaine, où il a marqué l’histoire par un exploit unique : 29 000 passeports délivrés frauduleusement sous son autorité, mais avec Smith Augustin comme ambassadeur de l’époque. Le chiffre a de quoi impressionner. Ce n’est d’ailleurs pas la ministre Dominique Dupuy qui dira le contraire, puisqu’elle a pris la décision de le révoquer pour cet acte d’une rare ingéniosité administrative.
En toute logique, on aurait pu penser que Léandre passerait le reste de ses jours à répondre aux nombreuses questions de la justice haïtienne. Mais c’était mal connaître le génie du système politique haïtien, où une révocation pour corruption est visiblement un tremplin vers les hautes sphères du pouvoir.
Grâce à l’intervention bienveillante de Smith Augustin, l’un des membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), Lonick Léandre a non seulement échappé aux poursuites, mais il a décroché un poste de prestige à l’étranger. Une réussite qui devrait inspirer tous les aspirants politiciens en quête de succès rapide.
Des parrains influents et des pratiques bien rodées
Mais Léandre n’est pas un cas isolé. Il appartient à une élite politique et financière qui a perfectionné l’art du pillage institutionnel. En tête de liste, on retrouve Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles, trois figures incontournables du CPT. Leur dernier coup d’éclat ? Un racket de 100 millions de gourdes (750 000 dollars) auprès du président de la BNC, Raoul Pascal Pierre Louis. Comme ce dernier n’a pas pu payer, il leur aurait proposé des cartes de crédit avec une limite de 20 000 dollars, généreusement acceptées et utilisées pour des dépenses personnelles.
Visiblement inspiré par ces pratiques d’un autre niveau, Léandre s’est parfaitement intégré à cette machine bien huilée, où les nominations se négocient comme des parts de marché et où les finances publiques servent de compte personnel aux dirigeants.
Un ministre conseiller… mais un fugitif ?
Si l’on en croit la justice haïtienne, Lonick Léandre aurait dû se présenter devant le juge d’instruction Benjamin Felismé le 5 décembre 2024 pour s’expliquer sur ses exploits financiers. Mais comme tout grand stratège, il a trouvé une excuse imparable : la suspension des vols vers Haïti.
C’est vrai que revenir au pays pour faire face à la justice quand on vient d’obtenir une promotion à l’étranger serait un choix discutable. Alors, plutôt que d’assister à l’audience, il va profiter tranquillement de son immunité diplomatique et de son poste aux Bahamas, un lieu de résidence qui, il faut bien l’avouer, est plus confortable qu’un tribunal haïtien.
Une diplomatie qui brille… par la corruption
Si l’objectif du CPT était de transformer la diplomatie haïtienne en un refuge doré pour politiciens en disgrâce et escrocs de haut vol, il faut reconnaître que c’est une réussite éclatante.
La nomination de Léandre n’est pas une simple erreur de casting, c’est un symbole du système : les mêmes personnes qui détournent les fonds publics et affaiblissent l’État sont celles qui sont chargées de le représenter à l’étranger. Une situation qui laisse perplexes ceux qui espéraient encore un semblant de réforme dans la gouvernance haïtienne.
Une impunité qui interpelle la communauté internationale
Face à cette mascarade diplomatique, il devient urgent que la communauté internationale, notamment les États-Unis et l’Union européenne, intervienne pour exiger des comptes.
– Pourquoi des individus corrompus sont-ils nommés à des postes stratégiques à l’étranger ?
– Pourquoi les responsables du CPT, impliqués dans des affaires de racket financier, continuent-ils d’exercer sans être inquiétés ?
– Pourquoi aucun mécanisme de contrôle international ne vient freiner cette déchéance institutionnelle ?
L’ONU recommande de renforcer les mesures contre la corruption et de surveiller de plus près la gestion des finances publiques haïtiennes. Mais tant que les parrains de la corruption resteront protégés, toute tentative de réforme restera un vœu pieux.
Haïti, un État capturé par une mafia politique
Le cas de Lonick Léandre est l’illustration parfaite de l’effondrement moral et institutionnel du pays. Il démontre que la compétence n’a aucune valeur face aux bons réseaux, et que les sanctions ne concernent que ceux qui n’ont pas d’amis bien placés.
En Haïti, vous êtes un citoyen honnête ? Vous êtes condamné à souffrir. Vous êtes corrompu, accusé de détournements de fonds et protégé par des parrains politiques ? Félicitations, une ambassade vous attend !
Si Haïti espère un jour se relever, il faudra d’abord mettre fin à cette culture de l’impunité, où les institutions sont transformées en entreprises privées pour enrichir une poignée de privilégiés.
En attendant, Lonick Léandre savoure sa nouvelle vie de diplomate, loin de la justice, protégé par un système qui récompense ceux qui pillent le pays avec le plus d’audace.
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