Lors de l’amuïssement de nos libertés, le chant du poète est souvent le seul rempart entre la nation et le néant. D’ailleurs, sans son poème, sans son chant, une nation n’est qu’un groupe d’individus en toute disparité.
C’est à la lumière d’une telle idée que, en mémoire des moments d’impuissance de nos bras sous les bottes du « dieu vert des Yankees », Anthony Phelps a fait couler son indignation. Et face au régime des Duvalier qui a su accorder à l’atrocité et la trivialisation de la vie et la dignité humaines leur valeur superlative, le poète, romancier, dramaturge, nouvelliste, diseur, militant politique(…), Anthony Phelps a compris que le poème est cette bouffée d’oxygène qui devait rendre son haleine à la cause nationale et bien évidemment à la cause humaine.
Il sut saisir de fragiles instants pour faire de sa plume une instance qui devait porter, au prix de l’exil et en buvant un « soleil froid comme la mort », la cause des Indiens mutilés par « le dieu des Espagnols », la chair noire qui a été réduite à une mine d’or et une pompe à canne-à-sucre, la cause d’une nation dont la conception et la gestation ont été témoins d’oppression et indignité.
Né sous le règne des occupants américains en Haïti (1928), Anthony Phelps a rendu à sa plume une solennité digne de ce nom pour affronter la domination et rappeler à l’Haïtien et au monde entier que la nation haïtienne est souveraine. Dans son militantisme, il a intégré le cercle de « Haïti littéraire » aux côtés de Serge Legagneur, René Philoctète, Roland Morisseau… Sa « longue marche de poète » a été un long pélérinnage en quête de liberté et de « quotidianisation » du pain pour l’Haïtien…
À nos enfants, à l’Haïtien d’aujourd’hui dont la majorité est frappée par un daltonisme face aux couleurs nationales, il est urgent d’enseigner ce grand chant d’Anthony Phelps (Mon pays que voici, 1968) pour qu’ils apprennent à tenir tête face au « Yankee » qui, maintenant, le visage voilé, continue à boire nos « cacao et café ». Alors que « nos villes », nos libertés et notre dignité d’hommes et de femmes « sont en veilleuse », il nous faut poser la question : « qui ose rire dans le noir »?
Conscience doit être prise que l’heure est à l’art une ultime injonction de s’ériger en bouclier. Car si l’art est le lieu de la vérité, il doit se vêtir du décisionnel pour donner à l’indépendance haïtienne et pourquoi pas à la dignité humaine leur lettre de noblesse, comme l’a si bien fait Anthony Phelps.
Si dans nos rues, les armes chantent la mélopée de la mort, nous devons nous dire que l’heure est venue de répondre par des refrains plus téméraires dans lesquels doivent s’incruster les airs de liberté qu’a été ce grand chant d’Anthony Phelps :
« Yankee de mon cœur qui boit mon café et mon cacao,
Qui pompe la sève de ma canne-à-sucre,
Yankee qui entre chez moi en pays conquis[…]
J’attends dans ma nuit que le vent change d’air. »
R.Doirin
doirincandle07@gmail.com
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