« On ne fait pas de politique sans avaler des couleuvres, de temps en temps ! » disait le sénateur Serge Gilles. Il savait de quoi il parlait, après des décennies de vie politique. Depuis qu’il est retourné en Haïti après le départ de Jean Claude Duvalier, il a été, comme tout acteur politique, objet de calomnies, d’attaques pour des raisons diverses. Malgré tout, il illumine toujours son visage d’un grand sourire, en disant stoïquement : « neg isit ka p fe w ponn nan di move koze sou ou ».
Je me souviens d’une revue qui l’avait pointé du droit comme étant un aristocrate de gauche vivant dans un grand château à la rue Chavannes, à Pétion-ville. Et il enchaîne en me disant : camarade, peux-tu me mettre en contact avec ce pauvre qui a écrit ce mensonge ? Je voudrais bien l’inviter à admirer le Palais de plus près. En passant, dit-il , y a-t-il un palais dans cette rue ? « Le tien» lui ai-je répondu.
Éclat de rire…
Cette histoire, curieusement, me fait penser à un proche du président américain, Barack Obama, qui disait que la présidence est comme une voiture neuve, elle commence à se déprécier à la minute où elle sort du parking. Une assertion aussi valable pour Serge Gilles qui pensait qu’une fois qu’on s’engage en politique, on devient cible et vous dénigre souvent à tort.
Tandis qu’il donnait une conférence en Amérique du Nord, les participants, après l’avoir écouté, l’ont applaudi chaudement ! Soudain, un participant s’adressant le premier, pour les séances de question lui a dit ceci : « M. Gilles, ceux qui vous applaudissent ici ne vous connaissent pas, vous n’êtes rien d’autre qu’un magouilleur.». Froidement, Il a lancé pour toute réponse : « Je ne suis pas un magouilleur mais plutôt un manœuvrier, vous vous êtes trompés de mot. Comment voulez-vous que je sois capitaine du navire et que je ne fasse pas des manœuvres. Souvent nous accusons des responsables politiques parce que nous n’arriverons pas à saisir ce qu’ils font pour ne pas laisser couler la barque », sous un tonnerre d’applaudissement de l’assistance. Quand on disait de lui qu’il avait fait des erreurs, soit comme leadear de parti, soit comme sénateur, il avait une façon d’ouvrir grand ses yeux pour expliquer à tous ceux qui ne souhaiteraient pas commettre d’erreurs en politique, de s’asseoir chez eux, confortablement, dans un fauteuil moelleux toute leur vie.
Le Camarade Gilles montrait une grande patience dans ses entretiens à écouter l’autre. La tolérance était telle qu’il ne montrait jamais aucun signe d’énervement, même dans des situations de grandes controverses, d’hostilité manifeste vis-à-vis de lui. Un moment de discussion avec Serge Gilles était à la fois un temps d’apprentissage sur des questions théoriques et pratiques en politique. Une simple conversation avec lui emmène à parler de Plekanov, du CHE, d’Olof Palme, d’Histoire d’Haïti, de l’actualité politique du pays, de ses rêves pour le pays, de ses inquiétudes sans jamais être fataliste.
Sur Radio Télé Caraïbes, au cours d’une émission électorale spéciale en 2006, le présentateur a demandé, aux deux candidats présents, Serge Gilles et Hubert De Ronceray: « Qui d’entre vous sera président de la République ? » . Le Professeur Hubert De Ronceray a pris la parole et a dit ceci : « De toute manière, si Serge arrive au pouvoir cela ne me dérange en rien. Ce dont je suis sûr, jamais, jamais, il n’enverra des gens incendier ma maison». Moment de silence !
Durant la même campagne de 2006, j’ai eu le privilège d’assister à l’un des plus beaux débats au Karibe Convention Center au Juvénat entre Leslie F. Manigat et Serge Gilles. Le professeur Manigat, ancien président de la République, démocrate chrétien et fier de l’être, leader du rassemblement des démocrates nationaux progressistes (RDNP) et Serge Gilles, social-démocrate (il parle de cette doctrine comme si il l’avait inventée) leader de la Fusion des sociaux-démocrates, ont offert à l’assistance un bon spectacle digne de tout ce que les leaders mondiaux de la période pouvaient faire, de bon et de beau, sur le plan de la dialectique.
Après le débat, je me souviens avoir entendu le professeur Manigat, regardant, Serge Gilles, dans les yeux avec le côté chaleureux qu’on le connaît : «Je l’ai toujours dit, entre Serge et Moi, la divergence de vue n’était pas énorme quoique nous soyons de tendances différentes ». Salutations entre les deux.
Comme tout grand homme, Serge était simple, modeste, d’une rare élégance, d’une grande courtoisie. Ses études, son capital social, ses relations avec les autres grands hommes d’État du monde, ne lui donnent pas la grosse tête. C’est aussi un homme en quête de modernité en matière politique. Voilà pourquoi il a innové et toujours cherché le consensus avec L’IFOPADA, le PANPRA. Plus tard, il a été à la base de la création de l’Espace de concertation et enfin de la Fusion.
Il croyait que la tolérance, le consensus et la solidarité pouvaient changer les pratiques politiques et, du même coup, changer la société haïtienne. Un ami a dit : «Ce qui fait la force de Serge fait, en même temps, sa faiblesse ». Pour lui, Gilles donne l’impression d’être un politicien sans ambition, un simple passionné du jeu politique. Il ne pratique pas souvent le real politique tant il joue collectif. Pour Serge Gilles, jouer ensemble est une valeur politique, pourtant dérangeant en Haïti !
Comment refuser le dialogue, la discussion, le fait de parler à un adversaire se demande Serge Gilles. A l’époque, il devrait parler au Président Aristide à la Nonciature après les élections de 2001. Pour lui, comme le croit un politologue américain, la démocratie est une discussion et cela de manière permanente ; humaniste, il croit que l’homme est perfectible, peut évoluer et changer de position.
De Maïssade à Hinche où il fonda le premier collège de la ville, en passant par l’École normale à Port-au-Prince jusqu’à Paris à la Sorbonne, il est resté égal à lui-même. De retour au pays, après 1986, je l’ai vu en conversation avec ses amis, camarades et compétiteurs, il était toujours comme un poisson dans l’eau. Ambiance de discussion franche, de solidarité dans la recherche d’organisation, de stratégie de lutte politique.
Marc Louis Bazin du Mouvement pour l’instauration de la démocratie en Haïti (MIDH), son ancien allié en 1990, devenu son compétiteur en rejoignant LAVALAS disait au début de la campagne des élections de 2006 qu’il reconnaissait en Serge Gilles un grand militant des droits de l’homme. Celui-là qui confiait à ses amis que « La démocratie doit pouvoir se défendre ».
En partant pour l’Éternité, Serge a privé, de sa chaude affection, sa belle famille, ses camarades, ses amis, ses admirateurs, et, même ses détracteurs.
SERGE GILLES, UN BEL ESPRIT NOUS QUITTE.
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