La Constitution du 29 mars 1987 devait poser les bases légales du processus de démocratisation de la société haïtienne post-dictatoriale. Pour concrétiser cette ambition sociopolitique, il était essentiel de mobiliser les institutions afin de socialiser la population aux valeurs démocratiques. L’école, l’université, la bureaucratie publique et privée, et surtout les médias, avaient un rôle déterminant à jouer.
Cependant, la vulgarisation de la charte constitutionnelle n’a pas été suivie par la mise en place de mécanismes institutionnels visant à éduquer les citoyens pour participer aux nombreuses élections. Ces élections ont souvent été interprétées par les leaders politiques et les professionnels des médias comme de simples outils de démocratisation.
En analysant les raisons de cet échec, on constate que des interprétations erronées de la notion de « liberté de la presse » et le manque de formation intellectuelle des journalistes ont joué un rôle central.
Le contexte de la formation journalistique en Haïti
En Europe et en Amérique du Nord, la formation universitaire en journalisme et communication médiatique est ancrée dans une tradition séculaire. En Haïti, en revanche, les premières écoles de journalisme n’ont émergé qu’après la chute de Jean-Claude Duvalier en 1986, avec une réelle expansion après le retour d’exil du président Jean-Bertrand Aristide en 1994.
La Faculté des sciences humaines de l’Université d’État d’Haïti (UEH), créée en 1976, intégrait un département de communication sociale. Toutefois, cette initiative, prise sous un régime dictatorial, restait limitée dans son impact.
Ce n’est véritablement qu’au début des années 2000 que des institutions comme ISCOF, IFJ ou Maurice Communication ont structuré l’enseignement journalistique. Des universités privées ont ensuite suivi, mais l’absence d’une culture de régulation académique solide a laissé le champ libre à des programmes peu standardisés, manquant de garanties en matière de compétence professionnelle.
Une conception erronée de la liberté de la presse
En l’absence d’une tradition académique, la notion de liberté de la presse n’a pas été débattue de manière épistémique. Le militantisme politique et social a souvent pris le dessus sur une réflexion méthodologique et éthique.
Ce manque de professionnalisme s’explique également par le faible niveau de scolarisation de la population haïtienne, qui n’a jamais bénéficié d’une éducation aux médias comme cela s’est développé ailleurs dès les années 1960, sous l’impulsion de l’UNESCO.
En Haïti, la liberté de la presse a été réduite à une pratique routinière, souvent empirique, dépourvue de rigueur professionnelle. L’absence de formation académique, couplée à un manque d’éthique et de déontologie, a favorisé la désinformation, le non-respect des individus, et une absence de formation citoyenne, tant au niveau individuel que collectif.
Une relation de méfiance entre médias et public
Entre un public peu informé des normes déontologiques du journalisme et des journalistes peu formés, une relation de méfiance s’est progressivement installée. Ce contexte a facilité des pratiques de manipulation de l’opinion publique.
Faute d’une culture critique des médias, la population haïtienne a souvent accepté les informations diffusées sans remise en question. Les médias, au lieu de remplir leur rôle éducatif et civique, ont parfois contribué à des dérives contraires à l’idéal démocratique.
Conclusion : une exigence de réforme
L’échec du processus de démocratisation amorcé en 1987 s’explique en partie par ces lacunes structurelles. Pour répondre à cette ambition historique, il est impératif de renforcer la scolarisation et d’éduquer les citoyens aux pratiques médiatiques.
Cela passe par la création de centres universitaires de formation journalistique, accompagnés d’institutions autonomes de régulation, publiques ou privées, chargées de valider les programmes de formation.
Une telle réforme favoriserait l’émergence de débats à la fois politiques et épistémiques, familiarisant la population avec les concepts fondamentaux de la démocratie. Elle garantirait le respect des droits humains, de la citoyenneté moderne, et renforcerait la compétence des acteurs dans les espaces publics de la discussion démocratique.
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