Peu de gens réalisent le lien profond qui existe entre la crise de moralité, de citoyenneté et les pratiques parentales toxiques en Haïti. Une société où l’on élève des enfants sans amour, sans écoute et sans accompagnement émotionnel, est une société qui programme l’échec de ses futurs citoyens.
Une éducation sans psychologie familiale
Notre culture éducative ne tient pas compte de la psychologie de l’enfant ni de celle de la famille. Pères et mères sont souvent invalidés par des mécanismes sociaux qui brisent l’estime de soi, l’autonomie, et la capacité d’aimer.
Les interventions de certains travailleurs sociaux, mal formés ou inconscients des dommages qu’ils causent, prolongent les souffrances déjà anciennes. Plutôt que de réparer, ils aggravent des blessures invisibles. Jean-Marie Gang dans « Mauvaises pensées d’un travailleur social » et Françoise Dolto dans « La cause des enfants » en donnent des exemples saisissants.
Des enfants blessés qui deviennent des adultes immoraux
Pourquoi nos enfants souffrent-ils d’une socialisation incomplète ? Pourquoi deviennent-ils des adultes sans repères ? Parce qu’ils sont issus de foyers où le paternage et le maternage ont échoué, où l’amour a été absent ou remplacé par la violence, la peur ou l’indifférence.
Je ne suis ni psychologue ni expert agréé, mais en tant qu’ancien enfant victime d’une parentalité pathologique, je témoigne. Cette blessure m’a poursuivi à l’âge adulte, affectant durablement mes relations sociales. Ce n’est qu’à travers une prise de distance stratégique que j’ai pu retrouver un équilibre psychologique bénéfique.
Quand l’amour est absent dans la conception d’un enfant
Souvent, des jeunes s’unissent par instinct de survie, pas par amour. L’immaturité émotionnelle, le manque de communication et l’absence de tendresse transforment ces couples en champs de bataille silencieux. De cette violence muette naissent des enfants privés de tout repère affectif.
« Un enfant conçu sans amour, élevé dans le désamour, devient souvent un adulte blessé incapable d’aimer. »
Comme le disent Françoise Dolto et Élisabeth Badinter, un enfant a besoin d’amour dès la conception et tout au long de sa croissance pour devenir un adulte stable, sain et équilibré.
De l’abandon affectif à la violence sociale
Combien de jeunes Haïtiens enrôlés dans des groupes armés ont été privés d’amour et de structure familiale stable ? Instrumentalisés par des élites politiques nationales et internationales, ces jeunes n’ont pas eu les ressources émotionnelles nécessaires pour faire le choix de l’altruisme et du civisme. Ils ont atteint le seuil de leur résilience, et la violence est devenue leur seul langage.
Mais la douleur ne s’arrête pas là. D’autres jeunes, non armés, reproduisent cette souffrance dans leurs relations : au travail, en couple, dans le voisinage. Leur violence est psychologique, verbale, parfois silencieuse. Et bien souvent, ils ne savent même pas qu’ils sont eux-mêmes blessés.
L’ignorance, carburant d’un cercle vicieux
Dans une société où l’illettrisme est répandu, peu comprennent que la violence peut être émotionnelle, symbolique ou relationnelle. Le traumatisme devient héréditaire. L’histoire de l’esclavage est le berceau de cette répétition tragique.
Frantz Fanon, dans « Peau noire, masques blancs », montre comment le bourreau peut naître de la victime, et comment la normalité peut cacher des traumatismes profonds. C’est ce que vit notre société.
Quand l’école, l’Église et les médias échouent
Les enseignants qui n’ont jamais guéri leurs blessures d’enfance éduquent à leur tour des enfants avec dureté. Les leaders religieux, souvent peu formés, diffusent une morale autoritaire, intolérante, culpabilisante. Les médias recrutent des journalistes sans formation, qui banalisent la violence, insultent, diffament, violent la vie privée et détruisent la dignité humaine.
Car c’est peut-être dans ce retour vers la tendresse humaine que se cache la plus grande révolution possible pour Haïti.
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