Dès la première année préparatoire, l’apprenti sociologue sait déjà que le principe élémentaire de la sociologie permet non seulement d’étudier les phénomènes sociaux mais également d’analyser les mécanismes qui régissent les rapports sociaux. Ainsi, le métier de sociologue exige, bel et bien, de prendre un recul par rapport au discours commun et de questionner ce qui peut sembler normal. Au regard de la méthode expérimentale de Claude Bernard, le sociologue est invité à saisir le fait social en laissant de côté les idées préconçues, ainsi que tout jugement moral. Dans cet ordre d’idée, Emile Durkheim préconise d’écarter les prénotions pour pouvoir mieux cerner les enjeux collectifs d’une société. Par exemple, les conséquences de la consommation d’alcool renvoient à des sujets relevant du domaine de la sociologie entre autres.
En fait, l’alcool, comme un lubrifiant social, est largement utilisé dans de nombreuses cultures depuis des siècles. On retrouve des traces archéologiques de la consommation d’alcool remontant à la préhistoire, avant l’agriculture et la sédentarisation des peuples. La place de l’alcool a évolué au cours du temps. Selon l’époque et le pays, l’homme donne une nouvelle considération à l’alcool. Pour reprendre Jean-Charles Sournia (l’histoire de l’alcoolisme), l’alcool est un produit culturel, il fait partie de la vie sociale des groupes. Sa consommation est si anciennement ancrée dans nos mœurs qu’elle a pris une place prépondérante dans la dynamique sociale de l’humanité. De génération en génération, la consommation d’alcool a toujours été au centre des préoccupations. En effet, l’alcool est l’un des principaux facteurs de risque de morbidité et de mortalité prématurée. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la consommation d’alcool tue trois millions de personnes chaque année dans le monde. Du cancer à la dépression, l’alcool contribue à une longue liste de maladies non transmissibles et à d’autres problèmes de santé (Cirrhose du foie, cancer des poumons) incluant les blessures consécutives à des accidents de la route et la violence contre autrui.
Paradoxalement, l’alcool peut être très agréable avec son effet euphorisant, anti-dépresseur et tranquillisant lorsqu’on en boit de façon modérée. Il peut aussi avoir des répercussions délétères sur la santé si on en abuse. D’où, le dualisme d’une représentation sociale de l’alcool.
La consommation de boissons alcoolisées est très répandue dans l’espace social Haïtien. L’on en sert dans presque toutes les cérémonies à caractère social (Réception de mariage, anniversaire de naissance, communion, etc.). L’alcool est comme omniprésent, on peut le remarquer au sein de toutes les couches sociales tant dans des familles aisées que dans des familles pauvres ; il se manifeste également chez les personnes de catégories professionnelles différentes telles que les cadres, les étudiant-e-s, les ouvrier-ère-s et les paysan-ne-s. L’usage de l’alcool fait partie pratiquement du rituel haïtien. S’assoir autour d’un verre traduit l’expression de convivialité. D’ailleurs, plus d’un le considère comme un indice d’intégration sociale. Toutes fois, l’alcoolisme reste et demeure un enjeu de santé publique. Évidemment la consommation chronique d’alcool et son usage abusif peuvent conduire à des conséquences néfastes sur la santé mentale et physique de ses dépendants.
Pourtant, il n’existe quasiment aucun contrôle sur l’usage de l’alcool en Haïti. Suivant les dernières données publiées en 2020 sur Haïti, le nombre de décès par Alcool ont atteint 428 ou 0.49% des décès totaux. En dépit de ce tableau sombre, il est regrettable de constater la manifestions d’une apologie de l’alcool à travers des réseaux sociaux et des médias alternatifs. Il faut surtout signaler que ces canaux de communication sont extrêmement puissants et jouent un grand rôle dans la vie quotidienne, particulièrement, de la jeunesse ces derniers temps.
Les réseaux sociaux et les médias alternatifs sont devenus des agents de socialisation imposants. Les jeunes sont facilement influencés à travers des messages audio-visuels qui diffusent à tort ou à raison sur ces plateformes. Consciemment ou pas, certains Artistes/Influenceurs se lancent dans une campagne, sans merci, à l’incitation à la consommation immodérée des boissons alcoolisées sans jamais mentionner que cette substance psychoactive est nuisible pour la santé. Nul n’est exempt de cette publicité illicite qui se fait à travers le web. Depuis ces trois dernières années, certaines célébrités prônent un mode de vie relativement malsain. En ce sens, venons-en à une musique tirée du rythme dit ’’Rabòday’’ : « #Parese, leve pou bwè kleren ». Ce morceau abracadabrant sous-entendrait qu’il faudrait boire sans cesse. Autrement dit, boire constamment de l’alcool est comme un devoir. Plus récemment, s’ajoute un dernier hit du moment d’un groupe très célèbre du compas (HMI) avec un slogan très circulant sur presque toutes les lèvres de la jeunesse haïtienne. Il s’agit de « N ap bwè ». Cela indiquerait à tout un chacun de consommer abondamment tout liquide découlant de la formule CH3CH2OH. Quelle folie. Qui pis est, les adolescents sont les plus réceptifs de cette promotion nocive. Par ailleurs, presque toutes les forces vives du pays se taisent à propos de ces dérives. C’est comme si tout allait bien madame la marquise. Pourtant, cette pratique toxique ronge subtilement la communauté haïtienne. Car, encourager des gens à boire de l’alcool démesurément est comparable à une incitation à la violence. C’est le cas par exemple de la corrélation qui existe entre l’alcool et la délinquance juvénile. Le dilemme c’est que dans un pays où ces concitoyens sont privés de loisir ; la violence et la peur déchirent le tissu social, on a l’impression que l’alcool devient la seule alternative en guise de divertissement. N’empêche de faire un appel à la vigilance.
L’heure est grave, il est temps de tirer la sonnette d’alarme. Il faut redoubler d’efforts pour lutter contre cette légèreté notamment en interdisant la promotion illicite de la consommation d’alcool. On n’est pas sans savoir que la consommation d’alcool en tant que telle ne pose pas de problème, c’est peut-être un besoin dans la mesure et un poison dans la démesure portant à croire que l’excès en tout nuit. En outre, l’alcool est souvent associé à des crimes graves comme le meurtre, le vol ou le viol. Par-dessus tout, la problématique de l’alcoolisme est un fait social perplexe dont on ne peut pas s’en passer. Il faut stopper ce laisser-aller. Les jeunes et moins jeunes sont particulièrement vulnérables aux effets nocifs de l’alcool. Par conséquent, les artistes/influenceurs doivent utiliser leur capacité d’influence de manière responsable vis-à-vis d’eux. Si on doit consommer l’alcool, il faut que ce soit un boire contrôlé.
Lauture Jacques
lolo.jacques33@gmail.com
19/05/2024
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