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Le kidnapping, ou l’esclavage sous une nouvelle forme en Haïti,selon le Professeur Frantz Délice

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Richarson Bigot
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Au cours des deux dernière années, le Kidnapping est devenu la principale hantise de la société haïtienne. Criminalité, modèle d’enrichissement au détriment des couches moyennes et défavorisées, il s’agit également d’un affront au passé esclavagiste de notre nation. Dans une entrevue accordée à Hebdo24, le professeur Frantz Délice étale la similitude qui existe entre les enlèvements contre rançon et l’esclavage. 

L’esclavage et le kidnapping, quelle est l’analogie, dans une perspective sociologique et historique ?

L’esclavage et le kidnapping sont deux phénomènes séparés dans le temps et dans l’histoire mais qui ont des ressemblances car ayant un socle ou contenu presque commun. 

Dans l’esclavage, il y a le rapt de la personne par la force et sa soumission à un régime économique et politique, qui le prive de toute liberté et la contrainte à exercer les fonctions économiques les plus pénibles sans autre contrepartie que le logement et la nourriture. Nous voyons que la base est la privation de liberté, la contrainte, l’utilisation de la force, la déshumanisation de la personne. Ces éléments précités se retrouvent aussi dans le phénomène du kidnapping. 

Le kidnapping qui est un enlèvement, un rapt, un ravissement dans lequel on s’empare de l’être humain, on le détient contre sa volonté en vue de l’échanger contre une rançon ou une compensation en nature.

Dans les phénomènes de l’esclavage et du kidnapping, il y à usage de la force pour priver un être humain de sa liberté contre sa volonté. Il y a aussi l’application de la contrainte, la déshumanisation de la personne. Il y a également la recherche d’une compensation soit économique, monétaire ou en nature. Dans les deux phénomènes, on déni à l’autre sa dignité humaine, car on ne le considère plus comme un être humain. 

il devient une chose qu’on peut échanger en vue d’un profit mercantile.

 Nous observons dans les deux phénomènes qu’il y a un déni de la reconnaissance de la dignité inhérente à̀ tous les membres de la famille humaine, un déni des droits égaux et inaliénables qui devraient constituer le fondement de la liberté, de la justice et de la paix selon la « Déclaration universelle des droits de l’homme ». 

Il y a la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme, des éléments qui ont portent les guerriers de 1804 à s’insurger contre le système esclavagiste, d’exploitation et anticolonial. Haïti s’est rebellée contre l’esclavage, le mépris des droits et a voulu être un territoire ou la dignité de l’être humain est magnifié. Car Haïti s’est voulu être cette terre de liberté. 

Détenir par la force une personne contre sa volonté et l’échanger comme un vulgaire produit économique en 2021 c’est bafoué les idéaux de 1804, c’est oublié les raisons pour lesquelles nos ancêtres se sont battus et ont sacrifié leur vie, c’est une forme de méconnaissance de notre histoire, une amnésie historique et collective. 

On est en train de reproduire le contexte d’avant 1804 dans ce nouveau cycle et cette fois on est nos propres bourreaux.

Pourquoi le kidnapping, qui s’assimile à l’esclavage, surgît-il dans un pays qui a connu la traite et la colonisation ?

On a l’impression qu’Haïti n’est pas encore sortie du système d’avant 1804. Il semblerait qu’on a substitué les colons blancs par d’autres figures coloniales. Certes on a chassé le colon français mais on a gardé le système d’exploitation de l’homme par l’homme. On est en train de vivre une amnésie collective et historique. On est en train d’oublier ou d’ausculter le geste de 1804 et son contenu d’émancipation, de progrès et de dignité. Et ceci est une construction de nos élites au cours des ans.

 Leur choix nous  amena à ce moment charnier de notre histoire. Haïti a magnifié le geste de 1804, c’est comme-ci le pays s’est érigé à partir de 1804 sans passer par le moment de l’esclavage.

 La mémoire de l’esclavage 

est oscultée dans notre société tandis que les tares persistent dans notre subconscient et dans notre ADN de peuple. On a gardé des éléments du système colonial et avec tout cela on veut entrer dans la mondialisation et la société post-moderne actuelle marquée par la confusion,le délitement des principes et règlements, la perte de la confiance dans les valeurs de la modernité notamment le progrès, l’émancipation. On est placé à un carrefour où l’on doit choisir de continuer la révolution de 1804 ou d’abandonner les idéaux de 1804, de nous renier et de nous laisser assimiler par la machine du postmodernisme. 

La déconstruction de la mentalité coloniale, esclavagiste, et d’exploitation doit continuer dans le pays en commençant chez nos élites.

Peut-on dire que notre peuple a oublié, voire ignoré son histoire ? 

Je viens d’essayer de répondre à cette question. Mais je voulais ajouter qu’Haïti a oublié une partie de son histoire, la partie qui porte sur la souffrance et la condition de l’esclave et a magnifié une autre partie, celle glorieuse, de l’indépendance. On a mis en évidence le geste de 1804 au détriment de la mémoire de l’esclavage. Une partie de l’histoire n’est pas magnifiée. La souffrance de la servitude, les détresses de l’esclave, sa condition ne sont pas enseignées et les raisons qui l’ont portées à s’insurger contre le système esclavagiste. À l’heure actuelle, on parle de lutter contre le système actuel, je pense qu’on doit revisiter la mémoire de l’esclavage, la mettre en évidence, en parler et cela nous aidera à comprendre réellement ce qu’a enduré l’esclave et pourquoi il s’est révolté. Si on veut se révolter contre le système actuel, il faut aller visiter les souffrances de l’esclave, comprendre sa condition et ainsi on pourra vraiment tirer des analogies avec notre condition actuelle.

– Y aurait-il des conséquences sur le tissu social haïtien ?

Les conséquences sont déjà là. Nous observons ce « marronnage post-moderne », la recherche de solution individuelle au détriment du collectif. Des cerveaux, des jeunes, des professionnels essayent de se soustraire de manière individuelle de ce système injuste et d’exploitation. On s’achemine vers un autre 1804 à l’heure actuelle, nous sommes à la phase du « marronnage postmoderne » la prise de conscience individuelle que ce système mérite d’être changé, mais les citoyens sentent qu’ils n’ont pas encore les ressources pour y faire face. Ils recherchent des solutions individuelles, ils laissent le pays vers d’autre collectif plus organisé selon eux. Comme avant 1804, le marronnage s’est substitué à une phase de conscience collective face à un danger collectif qui guettait tous les acteurs. Nous aurons à faire face à un moment où il ne serait plus possible de s’échapper vers d’autres cieux, d’autres “el dorado” ou les haïtiens de l’intérieur et de la diaspora auront à faire face aux problèmes en vue d’assurer leur survie dans ce monde troublé. 

On a observé le même phénomène avec le peuple juif face à Hitler. Il est arrivé un moment que c’était nécessaire pour eux d’avoir une patrie bien physique, de se battre contre les dangers qui les guettaient de tout part et d’affronter les problèmes collectivement. Je pense qu’on s’achemine vers cela, vers ce moment où l’haïtien devrait se battre pour assurer sa survie collective en tant que peuple, en tant que nation ou l’on ne pourra pas fuire vers d’autres cieux, oue l’on doit faire face à ses démons et les vaincre définitivement, sinon on aura pas droit de faire partie du concert des nations. Et lorsque ce moment arrivera, on ne parlera ni de descendants de noirs, de mulâtres, de syriens, de libanais, d’égyptiens et de juif, mais on parlera « d’Haïtien », on sera un seul peuple et une seule nation. On se devra d’arriver vers ce moment historique pour surmonter nos tares et faire face collectivement à ce qui nous attend. On a un « sursis historique » et un « rendez-vous avec l’histoire », avec nous-même, il faut en profiter actuellement malgré les difficultés. C’est le moment de crever l’abcès.

Richarson Bigot

Avocat au barreau d'Aquin, journaliste et amant de la lecture et l'écriture, Richarson Bigot se donne corps et âme au journalisme. Un métier auquel il s'adonne depuis plusieurs années à travers des médias de renom. Depuis 2019 il est membre de l'émission Mardi Alternative diffusée sur Caraïbes FM. Originaire de l'Asile, Richarson Bigot veut que sa plume soit toujours utile à la société haïtienne qu'il porte dans les tréfonds de son coeur.

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